L’autre jour, j’étais en cours de français en train de patiemment éplucher en long, en large et en travers, les innombrables procédés d’un de ces satanés seize textes. Bref, j’étais emballée… Alors, pour comme qui dirait, faire passer le temps, je me hasardai à bavarder. Et puis, à un moment où notre conversation avait légèrement glissé sur les pizzas hawaïennes et autres dingueries et où nous avions quelque peu abusé de la patience infinie de notre professeur, celle-ci se retourna, me demandant de cesser immédiatement. Prise sur le fait, en flagrant délit de bavardages intempestifs, je répondis innocemment : « Mais Madame, j’ai rien fait ! ». Et puis, je me suis sentie toute bête… Quoi ? Je n’avais rien trouvé de mieux à répondre que cette formule absurde et banale qui semblait me servir de parade à une réponse à laquelle je n’avais surement pas les mots ?… Je n’avais pas encore saisi le poids des mots que je venais de prononcer.

Et pourtant, que ce soit l’accusé qui clame son innocence ou nous même lorsque nous peinons à nous justifier, on a tous déjà dit « J’ai rien fait ». Mais quand on y pense, qu’est-ce que ça signifie ? Rien au juste. Ou plutôt si, c’est l’évidence même que nous sommes incapables de reconnaître nos torts.

« J’ai rien fait », c’est se défiler devant le fait accompli et dédaigner voir la vérité en face.

« J’ai rien fait », c’est refuser de s’abaisser à l’humilité de reconnaître que non, nous ne sommes pas parfaits et que nous pouvons toujours fauter.

« J’ai rien fait », c’est baisser la tête, se dérober, s’esquiver.

Mais « J’ai rien fait », c’est surtout ne pas assumer ce que l’on a fait.

Bien souvent aujourd’hui on entend qu’il faut savoir assumer ses différences, assumer son corps, sa personnalité… Oui c’est vrai ! Mais comment peut-on assumer qui l’on est quand on est incapable d’assumer ce que l’on a fait ?

C’est sur que c’est plus facile de se défiler, de ne pas avouer et qu’oser admettre nos actions cela demande du cran, du courage, un certain sens de l’honneur même !

L’honneur… c’est une valeur bien moins désuète que l’on ne l’imagine. Elle n’est pas réservée seulement aux gentilshommes du 18ème siècle qui pour un oui ou pour un non sortaient leur fleuret pour se venger et battre en duel celui qui les avait offensé…

Non ! Faire preuve d’honneur c’est encore possible aujourd’hui, au 21ème siècle. Nul besoin d’une épée ou d’un pistolet. Les vrais héros sont d’abord ceux dont l’humilité de la repentance s’est substituée à l’orgueil de la vengeance, ceux dont les paroles vont de paires avec les actions. C’est avec les premières qu’ils assument les dernières. Non pas qu’ils soient maître de l’art de ne rien faire, mais plutôt qu’ils font ce qu’ils promettent et admettent ce qu’ils font.

Ne tombons pas dans ce piège de la facilité, dans la tiédeur et la lâcheté qui nous appellent à nier nos actes et sachons parfois, nous risquer, nous jeter à l’eau et assumer ce que l’on a fait au risque de briser le rempart de notre orgueil dont les sentinelles nous interdisent de regretter et donc d’avouer.

Alors quand du fond de la salle vous entendrez cette voix impérieuse qui vous demande de cesser, vous y réfléchirez à deux fois avant de répondre « J’ai rien fait ». Une première pour rajouter le « n’ » et rendre ainsi cette phrase grammaticalement correcte au risque de faire bondir votre professeur de français, et une deuxième fois pour se demander si réellement cela vaut la peine de perdre en un instant son honneur entier, pour un cours de français.