1er prix : Thomas SILVA SIFONTES

 

Ne rien faire…

Ne rien dire…

Mais pas aujourd’hui, 7 h 10, le réveil n’a pas sonné, maman klaxonne dans la voiture. Je me lève, je la rejoins, on arrive au Caousou. J’avance vers ma sentence. La journée va être longue, tout est chronométré. Et je suis cet ouvrier qui répète sans cesse le même geste sans savoir pourquoi il le fait. Mais je me dis j’y vais. Je cours. Les heures s’enchaînent. Je lutte pour suivre le débit de Mme Katan en cours. Et le soir, ce n’est même pas une libération. Parcoursup entame ma nuit. Et dans mes rêves, je réécris sans cesse les lettres de motivation.

 

Mais le samedi matin, ma mère dit stop. Elle me fait la surprise de me déposer chez mon grand-père. Peignoir, pantoufles et tapettes à mouche, c’est le monde à l’envers. Dans son royaume, le temps ne court plus. Il est figé. Je suis là, désarmé, j’ai oublié mon téléphone et mon PC. Je suis face à mon grand-père qui fait ses mots-croisés. Assis sur son sofa, je suis brutalement plongé dans l’art de ne rien faire. Car si c’est un art, comme on peint des tableaux, alors mon papi est le plus grand des Picasso. Le choc pour moi est terrible, c’est plus la cour de récréation. Personne ne crie. Personne ne joue, ici on entend voler les mouches. Mon grand-père est là. Comme un bouddhiste zen, il a les yeux mi-clos et un sourire au coin de la lèvre. Il attend.

Ça me frustre, je vois posés sur sa table, les souvenirs, les cartes postales. Pourquoi passer son temps à regarder la télé et faire des mots-croisés, cloué dans son canapé quand nos dernières années sont comptées ? Par paresse ? Non, non, non, j’étais assez naïf pour le croire, et ne pas comprendre que c’était de la sagesse. Il ne fait pas rien, de loin je le vois serein. Il n’est juste pas dans le même monde que le mien. Lui il est descendu de ce train infernal du quotidien.

Alors qu’il goûte paisiblement à la vie, je suis dans une boulimie de tout faire. Et dehors, le monde hurle, il veut que l’on court, vers le travail, vers l’école, vers le mur. Mais mon papi lui s’est assis, dans l’herbe, tranquille au bord de la piste, plongé dans l’introspection et la solitude. Et j’ai longtemps méprisé l’art de ne rien faire, par peur de ne pouvoir y résister.

De m’asseoir comme ça moi aussi dans le fauteuil de mon grand-père et peut-être plus me relever. Alors j’ai fais des choses pour combler le vide. Pour que ma vie ne soit pas inutile. Que l’on se souvienne de mes actions. Comme si de mon vivant, j’aurais fais tourner le monde différemment.

Mais voilà où m’a mené l’ambition : à boire trop de cafés, et chercher à donner l’impression que je sais où je vais. J’ai commis des erreurs impossibles à réécrire. Alors pour me consoler face aux ratures, j’ai trouvé une solution. Etudier la littérature.

Je voulais apprendre à écrire pour écrire ma propre histoire. Armé d’un stylo à la main, Je voulais bien sûr me porter au sommet. Et c’est pour ça qu’à 15 ans, j’ai rédigé le roman de ma vie. Une autobiographie prémonitoire où je serai l’acteur principal d’une vie réussie. Et comme ça c’était fait, trop tard pour un retour en arrière, j’avais écrit ma destinée. Alors j’ai mis en place les moyens pour donner vie à la prophétie. Pour atteindre le bonheur et la réussite que je m’étais promis.

En cours, je me suis à écouter, dans un souci de tout faire, j’ai voulu tout contrôler. Pour que la fiction de mes 15 ans devienne réalité. Mais dans cette frénésie mêlée à un problème d’égo, je fuyais le réel. Je croyais vivre la vie que je m’étais prédite, donc celle que je m’étais écrite. Mais je ne vivais pas. Je cherchais à maîtriser mon destin en cochant des cases.

Alors, là aujourd’hui, dans la maison de mon grand-père qui sent le ta-bac froid, je vois un homme qui me surprend. Aux antipodes de moi, il se laisse bercer par la vie. Il ne joue pas un rôle ni une fiction. C’est le capitaine de son propre navire. C’est la meilleure manière qu’il a trouvé pour mieux vivre mais aussi mieux partir. Car face à la mort, on ne fait rien. Et ça demande de l’audace.

C’est un art que je vais devoir apprendre. Car un jour, je serai à sa place, avec son peignoir, ses mains ridés, son regard plein de souvenirs. Un jour mes petits-enfants me verront dans ce fauteuil. Et je serai prêt à leur partager mes secrets. Un monde que j’ai en moi, qui sera peut-être plus porté vers le passé, mais un monde à partager. Mais aujourd’hui j’ai concours d’éloquence. J’ai les jambes qui tremblent. Mais j’ai une envie. J’ai envie de vous partager le plus bel enseignement que m’ait transmis mon grand-père : rien faire, c’est déjà vivre.