Bonjour, je suis en Terminale, je m’appelle Annie Mondy et je me présente devant vous aujourd’hui parce que je ne sais aimer qu’en orange. Et parce que un jour quelqu’un que j’aime m’a dit « Tu sais Annie, les trous noirs absorbent tout ce qui les entoure et finissent par émettre une formidable source de lumière ».

Il y a cette drôle d’idée selon laquelle on écrit parce qu’on a quelque chose à dire.  Mais moi, je pense qu’on on écrit précisément quand on arrive pas à parler.

C’est tout un art de ne rien dire- comme c’est tout un art de ne rien faire.

C’est tout un art aussi d’écrire autour de ce qu’on n’ose pas avouer. Les mots s’agglutinent au bord du silence. Ils enveloppent l’absence, mais ne la comblent pas. Ils tournent en orbite autour d’un vide qu’ils ne peuvent pas nommer.

Comme l’astrophysicien qui regarde ce qui entoure le trou noir pour deviner ce qu’il contient.

Le trou noir, lui, maîtrise parfaitement l’art de ne rien faire. Il n’agit pas, il aspire. Il est là sans l’être, et pourtant tout finit par s’orienter vers lui.

Comme on le sait tous, les absents sont toujours les plus présents. C’est ça, le paradoxe du vide : il absorbe tout, et devient le centre. Et les absents, comme on le sait, finissent toujours par occuper l’espace en entier

Moi, longtemps, j’ai cru que mon trou noir, c’était le orange.

Le orange, c’est la couleur des clémentines. Et des clémentines, j’en ai pelé plus que j’en ai mangé.

Mais en fait, le orange c’est plutôt la périphérie.

Ce que je mets autour de ce que je ne peux pas dire. Parce que moi mon trou noir c’est de savoir aimer seulement à demi mot, seulement en partageant des quartiers de clémentine.

Et les clémentines, j’en ai pelé plus que je n’en ai mangé donc j’en ai fait un art. J’arrive à garder leur peau en un seul morceau. Je sais extraire leur cœur sans froisser leur manteau. Mais ce que je préfère dans la clémentine, ce n’est certainement pas la peau. Ce n’est même pas le goût. C’est qu’au centre, il n’y a pas de vide. Mieux encore, il y a un plein. Un plein découpé en petits quartiers, comme s’ils étaient prédestinés à être partagés.  Un coeur plein- le genre de coeur  que je voudrais.

Quelqu’un que j’aime m’a dit un jour : « L’amour, c’est comme un jardin. Si tu n’y fais rien, toutes les fleurs y meurent ».

Et moi, je suis la grande championne du rien. Je regarde les graines sans jamais les planter. e laisse les bourgeons sécher sur pied, parce que je me dis que peut-être — si je ne fais rien — on ne pourra rien me reprocher

Mais quand on arrose pas les fleurs et qu’elles meurent, on ne dit pas qu’on a rien fait – on dit qu’on les a tuées. Un peu comme on dit jamais du trou noir qu’il ne fait rien. On dit qu’il absorbe, qu’il détruit, qu’il enfouit. Rien faire quand on est un trou noir c’est déjà tout un art.

Et moi – un  peu à la manière du trou noir je ne fais rien. Mais j’enlève la peau des clémentines et j’en distribue les quartiers. Comme pour dire : « Voilà ce que j’ai de plus tendre à vous offrir. » Et ainsi, l’orange comble la périphérie.

C’est vraiment frustrant de savoir aimer qu’en orange quand on n’aime même pas cette couleur.

Mais soit – Si mon amour est orange. A midi je ferai à manger de la purée de carottes et le soir de la soupe au potimarron, je vivrai dans une maison aux murs mandarine et aux moquettes abricot. Mes chaussettes seront saumon, mes écharpes paprika, mes torchons couleur melon. On ne mangera jamais ni de poires ou de pommes- seulement des clémentines

Et alors — Je n’aurai rien fait, mais j’aurais fini par repeindre toute ma vie en orange. Cela fera une toile hideuse mais une Annie heureuse.

Alors, un matin ou j’arrêterai de ne rien faire- je sortirai dans mon jardin vert, franchir mon trou noir, terriblement trou-blanc pour cueillir une clémentine orange. Je ferai ensuite ce que je sais faire de mieux, je la pèlerai en un seul geste- avec autant de précision que quand j’en jalousais son cœur et je vous la tendrai.

Et alors-moi je n’aurai rien fait – Le orange se sera fait absorber par le trou noir et sera devenu une formidable source de lumière.